Boras, le périple londonien des berceuses comoriennes

Initiée par la Sound Musical School, centre culturel de la Savine, et portée par le Festival d’Aix-en-Provence, la création musicale Boras autour des berceuses comoriennes s’apprête s’exporter à Londres pour une représentation au cœur du London Symphony Orchestra.

Quelque part dans les montagnes luxuriantes de Grande Comore, non loin peut-être du volcan Karthala, une grand-mère fredonnait une berceuse. Sa chanson racontait l’histoire du coup d’état survenu au lendemain de l’indépendance des Comores puis l’emprisonnement des hommes sur l’île d’Anjouan. Mélancolique, elle chantait « ne pleure pas mon enfant car la vie te sourira, ils reviendront et sur la grande place, nous les verrons de nouveau ».

Yé ulindo mdgu, Mdwa Hépva et Ndralé Zawu, autant de berceuses traditionnelles récoltées voilà quelques années par Soly M’Baé dans les villages de Grande Comore. Le directeur de la Sound Musical School, centre culturel « à usage de la rue », implanté dans la cité de la Savine depuis plus de vingt ans, a ramené ses chants à Marseille. Au fil des années, ils sont devenus un spectacle, Boras, création musicale du London Symphony Orchestra, initiée par le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Après deux représentations, la folle équipée s’apprête désormais à traverser la Manche pour jouer cette pièce devant le public londonien, ce week-end.

- Complainte d’une mère

Tout a commencé avec Soly M’Baé, auteur et compositeur. « Je suis parti d’un constat. Mes soeurs, d’origine comorienne, comme moi, mais qui ont grandi à Madagascar puis à l’île de la Réunion n’ont pas beaucoup connu l’archipel. Elles ne connaissaient pas de berceuses comoriennes à chanter à leurs enfants. J’avais envie de réaliser un projet sur l’identité et la mémoire, alors je suis allé récolter des berceuses auprès des grands-mères comoriennes ».

Les Boras sont en effet des sortes de blues, de complaintes des mères et des grands-mères qui parlent de leur vie de femme, de leurs souffrances, de l’histoire de leur pays et de leurs conditions sociales à leurs enfants. « Ces berceuses se perdent en partie parce que la modernité arrive. Dès le départ, ce qui m’a intéressé, c’est la transmission, justement parce qu’on ne m’a pas transmis cela alors que les berceuses appartiennent au patrimoine affectif et culturel commun ».

Ainsi, Soly M’Baé sollicite des mamans marseillaises d’origine comorienne et leurs minots et leur demande de réinterpréter les 14 berceuses qu’il ramène des Comores. « Les mamans apprennent à leurs enfants ce qu’elles n’ont jamais appris. Lorsque l’on vient de l’immigration, de l’exil, il faut s’intégrer, s’adapter à la société dans laquelle nous vivons qui nous renvoie à nos origines. Je suis devenu vraiment français le jour où j’ai compris d’où je venais, cela m’a permis de danser sur mes deux pieds. Pour faire la paix avec ses origines, il faut s’en accaparer, les magnifier et les partager. C’est aussi pour cela que je ne suis pas resté dans un projet seulement comorien et que d’autres origines sont associées au projet ».

- Acteurs, chorégraphes et musiciens

Marie-Lou, 18 ans, joue du piano et des percussions et apprécie le côté improvisation du projet. « A partir des berceuses, et à côté des musiciens professionnels, nous réinventons quelque chose à notre image. Nous sommes à la fois acteurs, chorégraphes et musiciens. ça nous met en valeur. » Une maman poursuit : « ce qui me plaît, c’est que nous laissons libre cours à notre imagination, nous rajoutons notre propre rythme. Et puis nous demandons à nos parents de nous traduire des mots que l’on ne connaît plus parce qu’ils sont en comorien soutenu. Nous apprenons à réécouter ces chants. » Une autre maman, Saadia s’estime « novice en ce qui concerne la musicalité. Il y a même des personnes qui ne comprennent pas les paroles. »

C’est avec le concours du Festival d’Aix-en-Provence que le projet Boras a pris une ampleur significative. Au printemps 2012, une résidence créative est organisée au Klap, lieu de création de la compagnie Kelemenis. Elle mêle les différents acteurs du projet savinois (dont les Sentimythos, un groupe de jeunes reporters de son) plusieurs musiciens du London Symphony Orchestra et des musiciens de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée. L’alchimie créatrice doit beaucoup à la direction musicale de Mark Withers, qui associe musique classique, chants traditionnels, hip hop et percussions.

Avec le travail du chorégraphe Thierry Thieû Niang, Boras devient un véritable spectacle. A l’issue de la résidence, des représentations sont données au Klap et au Grand Théâtre de Provence. Même le directeur du festival d’Aix, Bernard Foccroulle, est soufflé par le résultat. L’aventure ne doit pas en rester là. Un an après, c’est chose faite. Désormais, la troupe d’amateurs s’apprête à se produire à Londres. « Jamais je n’aurais pensé que ce projet né dans un local puisse atterrir à Londres », se félicite Soly M’Baé.

Même son de cloche du côté d’Emmanuelle Taurines, responsable du service socio-artistique du Festival d’Aix : « Au départ, quand on a proposé à Fatima [présidente de la Sound musical school - ndlr] de créer un spectacle, nous étions partis sur quelque chose d’intime. Ce n’est qu’après qu’il y a eu cette envie d’aller sur scène. C’est un groupe d’amateurs mais ils sont très professionnels dans le rapport au travail. Et Thierry Thieû Niang sait travailler dans la simplicité. Pour la suite, nous n’avons pas d’idée précise, mais déjà Londres est un premier aboutissement qui souligne la dimension européenne du projet ». Le projet devrait également aboutir sur un livre-CD, lorsqu’un mécène se manifestera... « L’aventure sera ainsi peut-être close », espère Soly M’Baé. L’histoire des Comores, peut-être, continuera d’être chantée au-dessus d’un berceau marseillais, îlot de transmission du patrimoine maternel.

Elodie Crézé - Marsactu - 02 mai 2013 / Photo - Vincent Beaume

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