« Coma » de Pierre Guyotat, interprété par Patrice Chéreau

Entre ombre et lumière

En 2009, Patrice Chéreau crée La Douleur de Marguerite Duras avec Dominique Blanc. Après un passage en Avignon, il revient aujourd’hui avec une autre douleur, tout aussi saisissante, celle du Coma de Pierre Guyotat, dont il incarne le corps du verbe avec la force tranquille des falaises érodées par le temps.

Un plateau nu, avec pour seuls décors une chaise placée à l’avant-scène et un jeu de lumière structurant la découpe d’un texte puissant invitant le spectateur à faire l’expérience d’un voyage intérieur relégué aux confins du monde. Patrice Chéreau prête sa voix et son corps à l’émouvante douleur des paroles de Pierre Guyotat rapportant, sans détours, un sentiment partagé entre un besoin d’expression, procédant d’une nécessité, et la dépression dans laquelle il sombre. La mort, sa pulsion suicidaire qu’il tente d’assouvir avec la lame du petit couteau en forme de poisson, donné par son amie Agnès, l’errance intellectuelle et physique lorsqu’il bascule dans ce coma, se révèlent être bien en deçà de la puissance des sens et cette nécessité de vivre malgré tout.

Un souffle, une voix faible et parfois à peine audible, un corps en apparence fragile, Patrice Chéreau, texte à la main, investit l’espace scénique avec une puissance dramatique proche de l’ellipse, contribuant à mettre en exergue l’architecture solide du texte de Guyotat, son ami à qui il rend bien plus qu’un hommage. L’exigence de l’écriture a précipité Pierre Guyotat dans le petit salon de la faucheuse, l’invitant sournoisement à sombrer dans un coma sur lequel il revient avec la beauté des mots qui constituent la force du propos. Ce Coma n’est pas une enquête mais plutôt une reconstitution des mois qui le précédent. Une belle énonciation, organisée comme une mosaïque de scènes écrites au présent, constituent un document étonnant sur l’envers de la création avec ses exigences et ses limites. De nombreuses scènes de l’enfance balisent un vaste chantier en reconstruction avec pour figure primordiale, celle de la mère trop tôt disparue. L’Algérie de 1962, une tante revenue de Ravensbrück, un déjeuner avec Leiris et Jean Rouch au musée de l’Homme, le récit compose une dépression commune dont l’auteur tente de se relever pour mieux s’enfoncer dans la dépendance à l’écriture.

Fragile, touchant et parfois dérangeant, Chéreau s’empare d’une partition à la musicalité wagnérienne et observe un rythme d’une justesse irréprochable dans son interprétation. Il est proche de Guyotat sans se substituer à lui. Il sait mettre à distance les évènements du personnage pour toujours mieux les ressentir, les vivre comme une nécessité semblable à celle de P. Guyotat lorsqu’il était en dépression, cette pathologie lymphatique et linéaire à laquelle la mise en scène de Thierry Thieû Niang donne du relief et de la virtuosité. Entre ombre et lumière, Patrice Chéreau parcourt les méandres des couloirs de la mort pour mieux revenir à la vie. Comme Nijinski dans le Sacre du Printemps, Chéreau donne une légèreté apparente à son personnage alors que celui-ci est enfermé dans un espace très bas de plafond, comme à la clinique du Dr Brisset, par exemple. La force de la mise en scène de Thieû Niang repose sur ce désir incessant de rapprocher le corps et l’esprit tout en les opposant par le recours à ce jeu complexe d’ombre et de lumière, de vie et de mort.

Le problème de la création artistique, un cri émouvant et retentissant avec pour seul remède cette nécessité pressante et urgente de vivre. Une volonté affirmée de revenir à la vie par le souffle indicible de l’inspiration, à l’inspiration par les mots si nécessaires.

Patrick Sourd - Un Fauteuil pour l’Orchestre - 14 septembre 2012 / Photo - Artcomart

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