« Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner »

...dans la pétaudière de la protection de l’enfance

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner

Photo : Stéphane Remael

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Donnée dès ce mercredi soir à la MC93 de Bobigny, « Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner » est la première pièce de l’actrice Christine Citti, tirée de son immersion compliquée dans un foyer d’urgence pour mineurs de la Courneuve.

5 novembre 2018. Dans une tribune, les quinze juges des enfants du tribunal de Bobigny déclenchent un signal d’alarme inédit autant que strident, d’urgence absolue. En raison d’un manque de moyens, d’éducateurs, de places en foyers, les mesures qu’ils préconisent pour des mineurs pourtant en danger restent inappliquées. « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives, alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain : des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. » Ils pointent « la forte dégradation des dispositifs de protection de l’enfance » en Seine-Saint-Denis, leur département, mais 183 autres juges des enfants leur emboîtent le pas. De fait, manifs et mouvements de grève à l’appui, cela faisait déjà des mois que les travailleurs sociaux alertaient sur une situation explosive : mineurs mal ou pas pris en charge, personnel au bout du rouleau. En clair : la protection de l’enfance en France est une pétaudière.

Un chaudron prêt à déborder, des gosses cocotte-minute, un encadrement rincé : c’est exactement ce qu’on voit et perçoit dans Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner, pièce donnée ces jours-ci à la MC93 de Bobigny - la première a lieu ce mercredi soir. On est dans un foyer d’urgence pour mineurs de 13 à 18 ans. Des gosses en rupture familiale, sociale. Au milieu de rien, une pièce froide comme un hall de gare hormis le canapé où ils font grappe, ils sont huit, quatre filles et quatre garçons. Aïcha, Abdel, Georges, Katia, Kim Son, Nadia, Nikos, Nour. Et puis Emmanuelle débarque. Actrice, elle voudrait les initier au théâtre. Volée de bois vert. « T’as pas de travail, c’est pour ça que tu viens ici », « les gens comme toi, des blancs, ils viennent jamais dans ce coin ». K.O. d’entrée.

- Éducateurs punching-balls

Emmanuelle reste pourtant, se tanke dans un coin, s’efface, observe, les écoute. Parfois, ils viennent vers elle et alors il y a échange, rare et bref. Mais quand elle ne vient pas, ils lui font remarquer son absence, le lendemain. Les éducateurs du foyer, punching-balls des gosses (« Ils servent à rien »), lui demandent si elle compte « revenir souvent, comme ça », hostilité à peine masquée. Un monde à fleur de peau, d’ailleurs scarifiée, bleuie par les coups ou pâle comme celle des incarcérés. Inceste, maltraitance, prostitution, abandon, shit : les gamins se racontent tour à tour, entre fatalisme et rage. Leur horizon rêvé : devenir célèbre et/ou plein aux as. Les éducateurs, pas forcément bienveillants, sont usés – « Je crois que leurs champs de bataille ont envahi ma vie. » L’intruse Emmanuelle fait face à un champ de bataille autant que de ruines.

Christine Citti joue Emmanuelle. Elle-même, en somme : la comédienne fervente, disciple de Patrice Chéreau popularisée par la télé (les séries PJ et les Enquêtes d’Héloïse Rome), est l’auteure d’Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner. Ce texte, sa première pièce en tant qu’auteure, découle d’une immersion qui a viré au flop, entre 2015 et 2016, dans un foyer d’urgence de la Courneuve.

- Comme bêtes en cages

L’idée de faire du théâtre avec des jeunes en grande précarité est venue du metteur en scène Jean-Louis Martinelli. Citti a foncé. « Le projet s’est vite avéré impossible. Pas de moyens, pas d’espace, des jeunes incapables de se concentrer… On a fait quelques clips avec eux, c’est tout. » Alors Citti s’est posée dans un coin, a regardé, écouté. Les dialogues de la pièce sont de fait ultra-réalistes, ont des échos de documentaire. « Non, je n’ai pas pris tout pris en note. La pièce est un entrelacs de fiction et de souvenirs, certains récits sont vrais mais pas complètement, des expressions sont d’eux, d’autres purement fictionnelles. » Le côté ambiance sismique, avec des jeunes suffoquant d’ennui et d’angoisse qui tournent comme bêtes en cages ? « Ah oui, c’était comme ça : ça peut péter à tout moment, pour un rien, et retomber aussitôt. » La tiédeur de l’encadrement est aussi du vécu, « "Si tu crois que tu peux faire mieux que nous", je l’ai entendu plein de fois… Mais je ne veux pas leur jeter la pierre : pas assez nombreux, pas de moyens, ils ne peuvent être que dans la pratique, pas dans la pensée. » Citti a tapé l’incruste six mois. Parfois, elle a réussi à mettre les jeunes au dessin, sans les portables, et avec interdiction de se sauter à la gorge. « Et soudain, c’était le calme. » Certaines filles se sont rapprochées d’elle, se sont confiées. « Quand j’ai arrêté d’aller au foyer, j’ai eu envie de devenir éducatrice. » L’idée d’un texte est venue dans la foulée. « C’était sans doute une façon de leur dire "je ne vous abandonne pas", de leur donner la parole. » De donner du sens à l’échec aussi.

Il y a d’abord eu des lectures. Certains acteurs de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis y ont assisté. « Ils ont pété un câble. La prostitution par exemple, ils ne voulaient pas qu’on en parle alors que c’est une réalité. J’ai fini par leur renvoyer : "Je suis une artiste, j’ai le droit de raconter ce que je veux". » La pièce est portée par de jeunes acteurs épatants, certains proviennent de l’Association Mille visages de Houda Benyamina, la réalisatrice de Divines.

Sabrina Champenois - Libération - 16 janvier 2019

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