Libres et belles paroles des Indiennes d’Amérique

MORCEAU CHOISI - Anne Alvaro, sous le regard de Thierry Thieû Niang, qui danse, et de Nicolas Daussy, qui assure la partie musicale, dit des poèmes de femmes amérindiennes. « Voici mon cœur, c’est un bon cœur » se donne au Théâtre de Saint-Denis.

« Non, je ne suis pas chinoise. / Non, je ne suis pas espagnole. / Non, je suis indienne d’Amérique. Originaire d’Amérique. » Ainsi commence cette traversée littéraire d’un monde que nous connaissons mal, avouons-le, celui de la poésie des femmes amérindiennes contemporaines. Le beau visage d’Anne Alvaro s’accorde à merveille à ces paroles. L’ovale, les pommettes, le regard profond lui donnent vraiment quelque chose que l’on pourrait imaginer indien d’Amérique du Nord !

C’est elle, comédienne de théâtre connue au cinéma, qui a souhaité ce moment délicat et fervent, qui se donne toute cette semaine au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis et que l’on reverra, l’été prochain, à Avignon. Elle a lu le recueil de poèmes réunis et traduits par Béatrice Machet et Manuel Van Thienen sous le titre Voici mon cœur. C’est un bon cœur (Librairie Olympique, 2016). Elle en a été touchée. Il y a trente ans, Florence Delay et Jacques Roubaud avaient également traduit et publié des poèmes de femmes amérindiennes sous le titre Partition rouge (Seuil, 1988).

Chateaubriand déjà

Des femmes qui ont toujours, dans les sociétés indiennes d’Amérique du Nord, joué un rôle essentiel. Dans son Voyage en Amérique, Chateaubriand déjà, parlant des Indiens et de l’organisation sociale, notait, admiratif : « Ils avaient pensé qu’on ne devait pas se passer de l’assistance d’un sexe dont l’esprit délié et ingénieux est fécond en ressources et sait agir sur le cœur humain. » Alexis de Tocqueville, lui aussi, est frappé par cette place particulière.

On est loin de la « squaw » tirée par les cheveux de nos chers westerns… Les femmes ont un pouvoir très important, de représentation, de spiritualité. Dès les XVIIe et XVIIIe siècles, les pionnières se détachent dans le combat comme dans le maintien des structures et des cultures. Aujourd’hui, elles sont enseignantes, économistes, anthropologues et aussi écrivains et poètes.

C’est un spectacle sobre et délicat que nous proposent les artistes. Un pas de trois réglé par le chorégraphe dans une scénographie et des lumières de Jimmy Boury. Une quinzaine de poétesses sont au rendez-vous, d’Annette Arkeketa à Erika T. Worth. Les textes sont d’inspiration quotidienne ou puisent dans la nature des interrogations métaphysiques. Ils sont de portée universelle.

La musique ne vient jamais en illustration, elle est comme un autre texte qui possède sa cohérence et éclaire. Nicolas Daussy, violoniste classique de formation, a choisi le « steel drum » et des tambours sur pied. La grâce du danseur ajoute au charme énigmatique et tendre de la voix d’Anne Alvaro. C’est pur, simple, profond. De la poésie en action.

Armelle Héliot - Le Figaro - 2 avril 2018

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