Besoin des autres pour danser

Thierry Thieû Niang. Le chorégraphe a quitté Marseille en 2007. Il y revient régulièrement pour un nouveau projet avec huit détenus des Baumettes.

Thierry Thieû Niang est arrivé à la danse à 24 ans. Au départ, il était psychomotricien. Autodidacte, curieux des mouvements, il mène à Marseille un projet collectif avec des prisonniers des Baumettes.

- Qu’est-ce qui vous passionne dans la danse ?

C’est un mouvement qui réunit hors du langage, de la parole, qui va de dedans à dehors et qui est un art populaire dans le sens où enfants et vieux dansent. Tout corps est un corps dansant pour moi. Après, il y a des spécialités en danse, des techniques. A mes yeux, une personne qui marche est déjà en train de danser. La danse, c’est aussi de la joie, également une joie intérieure. Quand on voit de vieux détenus, même s’ils sont empêchés par l’âge et la prison, ils accèdent à quelque chose de libre, de secret, la danse permet cela.

- Je ne pense le monde qu’en le vivant, qu’entendez-vous par-là ?

Aujourd’hui, on assiste à un monde avec beaucoup de discours sur les méthodes. Les gens ont besoin de retrouver la question du vivre ensemble avec toutes ses différences et ses particularités. Ce qui m’intéresse, c’est d’être plongé dans tout ce qui fait la vie : les enfants, les personnes handicapées, les stars, les professionnels et amateurs qu’on a tendance à cloisonner. Je passe du jardin à l’école, de la prison au théâtre. Je mets autant d’importance à aller vers des gens très différents. Par leurs différences, ils me bousculent et me transforment. Je suis ouvert, c’est la rencontre qui fait que je suis un artiste. Je ne peux pas être dans ma bulle. J’ai besoin des autres pour danser, pouvoir me ressourcer, me recréer et ne pas m’enfermer dans mes habitudes.

- Parlez-nous de votre nouveau projet Anima, les détenus des Baumettes en font partie.

Anima est un projet pluridisciplinaire avec « Lieux fictifs » réunissant un créateur sonore, une plasticienne et moi. Un groupe de 8 détenus restaurent les archives de l’Ina familiales, mondiales, cinématographiques. On développe un mouvement dedans, un groupe de 4 seniors dehors et 4 adolescents. Et comme ils ne peuvent pas se rencontrer, ils le font à partir de vidéos sonores. A la fin, on ne se pose plus la question : qui est dehors ou dedans. On peut être dehors tout en étant enfermé et être enfermé en étant dehors. La question réside dans ce qui en nous nous ouvre ou nous renferme au monde. A partir de cette matière travaillée, je les fais danser.

- Les prisonniers sont-ils venus facilement à la danse ?

Au début, il y a eu beaucoup de timidité et de réserve. Ils voulaient bien danser avec moi mais pas ensemble. Ils ont compris que leur danse m’intéressait. J’utilise leur mouvement et j’en fais de la danse. Ils ont entre 19 et 65 ans et sont volontaires dans le projet. Ils ont signé un contrat et sont donc auteurs au même titre que les autres. Ils se sentent très investis et ont très envie, les activités en prison ne sont pas nombreuses. Parce que je vais vers eux comme un partenaire et non pas un spécialiste, ils osent. La mise en confiance, le respect sont très importants. Et le mouvement chaotique devient poétique.

- Que vous apportent ces expériences ?

Avec des corps si différents, je suis obligé de réinventer du vocabulaire. Je regarde les corps tels qu’ils sont, par exemple des vieux qui ne peuvent pas aller au sol avec leurs hanches artificielles. Ma langue chorégraphique en est transformée. C’est comme un voyage à l’étranger, je ne connais pas la langue et pourtant j’arrive à me démerder. L’autre, c’est comme un voyage à l’étranger, cela me rend nouveau selon que je danse avec les prisonniers ou les enfants.

- Comment penser l’art et la culture dans une société marchandisée ?

On est dans une période de mutation socio-économique où l’individu est un produit marchand fabricant du travail et de l’activité. L’art est le seul espace où l’on peut redéfinir le fondement de notre humanité. Il permet de re-questionner les échanges entre les humains, les cultures, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas. L’art devrait être un outil d’éducation, de socialisation. Danser peut nous aider à lire et à écrire. Faire de la musique peut nous aider à écouter les autres. Aujourd’hui, c’est un combat plus fragile, plus à vif. C’est pour ça que je me retrouve avec les plus fragilisés pour leur faire partager ce qui m’a aidé à me construire, à trouver ma place. Les gens ont du mal à se projeter dans le rêve, l’imaginaire afin de pouvoir devenir des hommes et des femmes. Je pense que nous, les artistes, sommes des espèces de casques bleus.

Entretien réalisé par Piedad Belmonte - La Marseillaise - 23 septembre 2014

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