Aix lyrique : Chéreau et Salonen électrisent « Elektra »

Sous la baguette du chef Esa-Pekka Salonen et le regard expert du maître Patrice Chéreau, « Elektra » de Richard Strauss laisse KO debout un public au comble de l’extase.

Avant même que n’apparaisse derrière son pupitre le chef Esa-Pekka Salonen, le traditionnel quart d’heure où l’orchestre s’accorde prend des allures d’affolant tour de chauffe dans le désordonné puzzle d’une déconstruction de l’œuvre qui présage de la tempête musicale à venir. Attisé par les feux d’une vengeance qui n’aurait encore trouvée comment ordonner son propos, la fosse, déjà sous pression, tel un chaudron bouillonnant, n’attend plus qu’un signe pour exploser au rythme du flux et du reflux des déferlantes musicales de la partition de Richard Strauss.

Une mer de larmes démontée, un gros temps témoignant de la plus extrême des douleurs, constitue le défi relevé par cette mise en scène d’Elektra où Patrice Chéreau exalte la poétique du livret de Hugo von Hofmannsthal dans l’incandescence des voix de ses interprètes hors pairs. Incarnée par la grande mezzo soprane Waltraud Meier, la reine Clytemnestre vit recluse dans son palais après avoir fait assassiner par son amant Égisthe (le ténor Tom Randle) son royal époux Agamemnon. Enfermé dans le palais transformé en citadelle assiégée (impeccable scénographie de Richard Peduzzi), le quotidien de ses deux filles et celui des esclaves. Electre (l’extraordinaire soprane Evelyn Herlitzlius) et la cadette Chrysothémis (une prise de rôle pour la merveilleuse soprane Adrianne Pieczonka) n’ont plus d’autre espoir que le retour de leur frère Oreste condamné à l’exil (l’impressionnante basse de Mikhail Petrenko), le seul apte à devenir le bras armé de leur vengeance.

Dans ce palais paraissant être taillé à même la roche, tous réclament justice à l’image de ces servantes qui aspergent le sol d’eau comme autant de larmes qui ne coulent plus de leurs yeux taris, tandis que cette autre, balayant les marches du parvis avec une brassée de roseaux, produit sur le sol le son d’un couteau sacrificiel qu’inlassablement on aiguise sur la pierre. Bientôt, la violence de l’interprétation voulue par le chef s’oppose comme dans un bras de fer à la beauté des chants qui doivent puiser à des ressources inouïes pour surpasser l’orchestre, à l’image d’une musicale colère divine auxquelles répondraient les plaintes humaines dans un unisson démentiel. Un choc physique et émotionnel qui donne la chair de poule et trouble la vision à travers un regard qui se voile de larmes.

Sous des lumières signées Dominique Bruguière, c’est dans les gris-bleu d’une nuit américaine que la bougie vacillante qui éclaire la nuit d’Electre apparait soudain comme une étoile lointaine aussi fragile et chaude qu’infime est l’espoir d’une réparation au bout du chemin. L’acte libératoire accompli par Oreste se traduit par une danse d’Electre sur une très belle chorégraphie de Thierry Thieû Niang. La modernité d’un corps exultant au cours d’une rave party ou l’archaïsme sauvage d’un rituel funéraire puisé à la nuit des temps.

Autant dire que c’est sous des tonnerres d’applaudissements que l’ensemble de l’équipe artistique fut chaleureusement accueillie par une salle qui ne put que se lever lorsque se présenta Evelyn Herlitzius (Electre), la dernière à venir recevoir les acclamations du public. S’ensuivirent, comme c’est le cas chaque soir, vingt minutes de standing ovation. Au sortir d’Elekra, chacun s’aperçoit qu’il n’est plus tout à fait le même et la sublime tempête de tourments qui l’habite mettra avec douceur un temps infini à s’apaiser en lui.

Patrick Sourd - Les Inrocks - 17 juillet 2013

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