C’est tout !
Photo : MC93 Bobigny
D’un vieux poste de radio éclairé posé à même le sol côté cour, émerge la voix de Marguerite Duras s’entretenant avec des enfants, dans les années 70. L’émission Marguerite Duras dialogue avec des enfants leur donnait la parole. Moment suspendu aux mots qu’ils posent, si frais et si vrais, sur de nombreux sujets comme la lune ou le temps qui passe, les baleines ou les papillons. Moment magique et émouvant.
Thierry Thieû Niang, chorégraphe et metteur en scène, Marie Vialle, comédienne, et Jimmy Boury, éclairagiste, ont souhaité poursuivre dans cette même veine le dialogue intergénérationnel, sorte de cousinage entre tous. Avec les jeunes d’aujourd’hui, âgés de huit à dix-neuf ans, ils dialoguent sur le changement du monde, le progrès, la nature et tant d’autres sujets. Autre génération, autres questions, autres lieux. Ceux d’ici habitent en Seine-Saint-Denis et parlent des camions, du monde, des ponts, des personnes âgées, des cailloux. C’est tout ! comme ils disent souvent à la fin de leur phrase pour clôturer la discussion et sceller comme un pacte avec l’adulte, expression qu’on retrouve dans le titre du spectacle ; c’est aussi le dernier livre de Marguerite Duras. Une vingtaine d’enfants et d’adolescents dans laquelle se glissent quelques adultes prennent alors possession du plateau.
Depuis plusieurs années Thierry Thieû Niang rencontre de jeunes amateurs, en Seine-Saint-Denis, et ailleurs, et les initie au mouvement. Après sept ans de travail il avait présenté à Avignon puis au Théâtre de la Ville en 2012 Le Sacre du Printemps, avec une trentaine de danseurs entre 60 et 87 ans, sous le titre … du printemps ; puis Ses majestés au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis en 2017, avec des amateurs, engagés notamment dans la vie associative artistique. Il vient de publier un livre relatant son travail au sein des services d’oncologie et d’hématologie à l’hôpital Avicenne de Bobigny, où il accompagne en dansant les patients hospitalisés.
Dans C’est tout ! la réponse du collectif s’exprime en mots, gestes et danse. « Je me suis retrouvée clouée : tout d’un coup j’ai eu devant moi la création de l’univers… » dit l’une. « J’ai regardé comment une mouche, ça mourait, ça a été long, ça a peut-être duré entre dix et quinze minutes et puis ça s’est arrêté. La vie s’est arrêtée » dit un autre. Tous tiennent un livre et se plongent dedans avant de le déplacer et de les rassembler en dessinant au sol de mystérieux signes. Le spectacle est né du travail des artistes réalisé avec les jeunes en six temps d’ateliers de pratique artistique à la MC93, pendant des week-ends et les vacances scolaires, de janvier à mai 2022. Il avait été créé au TNP de Villeurbanne, il est repris ici avec une nouvelle troupe. Le chorégraphe a invité Marie Vialle, comédienne et metteure en scène et Jimmy Boury, créateur lumière et son à le rejoindre pour enrichir la diversité des langages et techniques artistiques, ouvrant l’éventail du questionnement sur la nature, le climat, la tolérance, la paix. Ensemble, ils créent leur propre écriture, sensible et poétique, construisant, comme le font les architectes-artisans.
Des enfants, ils tirent leur inspiration et naît le spectacle. Une petite fille parle « de la création et de la terre qui tourne » une autre évoque « les mots, si petits » et la difficulté d’apprendre à les lire et à les décoder. On nous parle de fourmis rouges, d’un petit loir, d’une grande ourse, de chat et de mouche, de violon. Il pleut à Vitry et le marchand à la sauvette se pose au bord de l’autoroute. On entend des chansons, on voit des voiliers et des enfants aux cerfs-volants. L’histoire du pape d’Avignon perdu dans les cent vingt et une pièces de son palais, et celle des petits pieds obligatoires des femmes chinoises, se déclinent, comme la mort, la mer, le paradis et le théâtre de la pluie. Les jeunes vont et viennent, bougent et dansent avec ardeur, simplicité et plaisir.
Le spectacle se termine sur des questions, comme il a commencé, après une référence aux pierres du Barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras. On quitte à regret ce moment de vie, d’enfance et de danse partagé, ce moment ré-enchanté.
Brigitte Rémer - Ubiquité culture(s) - 12 mai 2022
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