Sur Arte, les Prégardien, père et fils, à l’unisson sur Schubert
Un concert privé, intelligemment pensé pour la caméra propose un programme incarné par deux ténors allemands, Christoph, le père, et Julian, le fils.
Les dynasties et fratries de chanteurs ne sont pas rares, mais elles restent tout de même l’exception qui, parfois, vire à la curiosité, comme dans le cas des jumeaux afro-américains Eugene et Herbert Perry, que Peter Sellars avait distribués en Don Juan et Leporello dans Don Giovanni, de Mozart, en 1989. En France, on a connu, chez les Dran, une succession de ténors : André (le grand-père), Thierry (le fils) et Julien (le petit-fils).
De l’autre côté du Rhin, chez les Prégardien, qui sont allemands, contrairement à ce que pourrait laisser croire leur patronyme, ce sont deux ténors, Christoph (né en 1956) et Julian (né en 1984), père et fils comme en témoignent leurs physiques et voix respectifs : leurs timbres sont de la même fibre, mais le père a – et, l’âge venu, plus encore – des couleurs barytonales qui échappent à l’émission plus claire – et même claironnante dans l’aigu – du fils.
Leurs répertoires sont semblables : les évangélistes des Passions de Bach (dont Christoph fut l’interprète de référence dès la fin des années 1980) et, surtout, le Lied romantique germanique. Ce genre, associé aux plus grands poètes de langue allemande, est au centre d’un concert donné en direct – et sans public – à la Philharmonie de Paris le 26 janvier, pour Arte.tv, qui le laisse à disposition jusqu’au 25 janvier 2022.
Interprétées avec piano ou dans les versions orchestrées par des compositeurs comme Liszt, Brahms, Reger, Webern, ces Lieder de Schubert – accompagnés d’extraits d’œuvres orchestrales et religieuses de Beethoven – s’organisent autour du thème de la paternité et de la filiation – le père et son fils expirant du Roi des Aulnes, de Schubert, le Père et le Fils du Christ au mont des Oliviers, de Beethoven, etc.
Situation troublante
Certains arrangements permettant aux deux solistes de chanter en duo frôlent parfois le kitsch. Mais la situation est émouvante, voire troublante, d’autant que l’un et l’autre des interprètes parviennent à installer une atmosphère très prenante, relayée par Lars Vogt au piano ou dirigeant l’Orchestre de chambre de Paris, dont il est le directeur musical depuis juillet 2020.
Deux danseurs – Thierry Thieû Niang et Jonas Dô Hùu – semblent d’abord combler on ne sait quel vide. Mais, rapidement, leurs figures s’intègrent au propos et à la dramaturgie du concert : c’est à un vrai spectacle, subtilement capté par Isabelle Soulard, que le mélomane assiste.
On notera que cette captation fait partie de ces programmes d’abord prévus pour être donnés en concert puis repensés pour une diffusion vidéographique sans public, en raison de la situation sanitaire induite par la pandémie de Covid-19. Ce qui pourrait paraître dommageable donne finalement lieu à une belle et durable création, accessible au plus grand nombre.
Au centre de ce concert au beau et dense programme, intelligemment pensé (dont on regrette qu’aucun sous-titre traduisant les textes chantés ne soit fourni), on notera le moment stupéfiant qu’est le long Lied désespéré Totengräbers Heimwehe D 842 (« La Mélancolie du fossoyeur »), de Schubert. Dans cette page, accompagnée avec génie par Vogt au piano, qui réduit le son à son état osseux, Prégardien père montre l’extraordinaire et profonde aura du grand interprète que, à 65 ans, il est toujours.
Renaud Machart - Le Monde - 4 février 2021
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