Théâtre : Dominique Blanc et Thierry Thieû Niang ravivent « La Douleur », de Marguerite Duras

La Douleur

Photo : Simon Gosselin

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La comédienne et le chorégraphe reprennent le solo d’une intensité exceptionnelle créé en 2008 par Patrice Chéreau sur un des textes les plus forts de l’écrivaine.

« Alors, comment ça va avec La Douleur ? » Dominique Blanc éclate de rire : on lui pose la question tous les jours. Et la réponse est simple : « Très bien ! » Dans la salle de répétition du TNP de Villeurbanne (Rhône), la comédienne rayonne et vibre d’émotion à l’idée de reprendre aujourd’hui ce spectacle créé en 2008 par Patrice Chéreau, avec le chorégraphe Thierry Thieû Niang.

Dominique Blanc avait tourné pendant quatre ans, de ville en ville et jusqu’au Vietnam et au Japon, ce solo d’une intensité exceptionnelle, créé à partir d’un des textes les plus forts de Marguerite Duras, paru en 1985. L’écrivaine y fait le récit de l’attente insupportable, au printemps 1945, de son mari Robert Antelme, déporté à Dachau, et dont elle ne sait s’il est vivant ou mort. « J’avais toujours rêvé de vivre et de vieillir avec ce spectacle », raconte la comédienne. Et puis Patrice Chéreau est mort, en 2013, Dominique Blanc est entrée dans la troupe de la Comédie-Française, et La Douleur a été mise en sommeil.

Mais le désir était toujours là, de reprendre ce spectacle intemporel, de réactiver la rencontre, brûlante, entre la comédienne et le texte. Thierry Thieû Niang a eu envie de jouer le jeu lui aussi, et a rendu cette renaissance possible. C’est lui, grand lecteur de Duras, qui avait mis La Douleur entre les mains de Chéreau et de Dominique Blanc. A l’époque, ils cherchaient des textes pour des lectures en duo. « J’ai commencé à lire Duras très tôt, parce qu’elle me racontait un Vietnam que mon père ne me racontait pas », confie-t-il, avec son sourire lumineux.

Thierry Thieû Niang, qui avait composé toute la partition corporelle du spectacle, et Dominique Blanc sont donc allés fouiller dans leurs archives personnelles, pour trouver les éléments nécessaires à ce remontage. Il n’existe aucune captation de La Douleur : Chéreau l’avait voulu ainsi, qui estimait que le théâtre enregistré n’avait aucun sens. Mais l’un et l’autre avaient gardé des cahiers et des documents, notes scrupuleuses sur les mouvements du spectacle pour le premier, brochures annotées avec les indications d’interprétation de Chéreau pour la seconde.

« Une mémoire du corps »

Ni l’un ni l’autre ne se sont posé la question de changer la mise en scène établie par Chéreau. « C’est une forme suffisamment simple, sans âge, pour qu’on puisse la réinvestir et la faire vivre », constate Thierry Thieû Niang. Dominique Blanc a ressorti de ses armoires personnelles le costume qu’elle portait à la création, et qu’elle avait déjà, à l’époque, extrait de son propre vestiaire : un chemisier, une jupe et un manteau qui pourraient être des années 1940 comme d’aujourd’hui ou des années 2000.

Quant à la scénographie, elle avait été conçue – de manière assez visionnaire aujourd’hui où l’on commence à réfléchir, pour des raisons écologiques, à la question du transport des décors – comme une base adaptable dans tous les lieux où serait joué La Douleur. Il a donc suffi d’aller chiner parmi les trésors des réserves du TNP pour trouver les chaises et la petite table de bois qui occupent le plateau nu, juste habillé par les lumières en clair-obscur, évocatrices de la guerre, de Gilles Bottacchi.

L’enjeu, à partir de là, était de « remettre au présent » le texte, indique Dominique Blanc. « Je peux témoigner qu’il existe vraiment une mémoire du corps. Les gestes, les mouvements, tout est revenu, au fil des répétitions. Tout a pu renaître, mais différemment, bien sûr. Je retraverse le texte avec ce que je suis aujourd’hui, et avec ce qu’est devenu le monde. Les six ans que j’ai passés à la Comédie-Française, où l’on joue beaucoup, avec des metteurs en scène très différents, m’ont fait grandir en liberté, en présence. Le travail mené avec Lars Noren sur Poussière, notamment, a beaucoup compté, grâce à la capacité extraordinaire qu’avait cet auteur [disparu en 2021] à plonger dans les replis de l’humain. »

Avant même le début des représentations, la comédienne prend conscience que le texte ne résonne pas tout à fait de la même façon de nos jours qu’à la création du spectacle. « La vibration ne peut être que différente. A l’époque, le ressenti était encore très lié à la seconde guerre mondiale, aux traces qu’elle a laissées dans nombre de familles, précise l’actrice. Aujourd’hui, la guerre est à nouveau à nos portes, avec ce qui se passe en Ukraine, et le texte s’est réinscrit dans un présent. On redécouvre Duras, qui a tout pour plaire aux jeunes gens d’aujourd’hui, dans sa manière d’aborder l’amour, la guerre, la solitude et l’attente d’une femme, mais aussi la résistance, la solidarité et le courage. Ce qui est toujours incroyable, chez elle, c’est sa puissance de vie et de désir. Dans La Douleur, elle ne parle que de cela : d’êtres qui ont cette capacité de renaître, de dépasser les atrocités qu’ils ont traversées par leurs forces de vie et d’amour. »

Fabienne Darge - Le Monde - 28 septembre 2022

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