Thierry Thieû Niang

Les mots ne doivent pas parler pour le corps mais le corps pour les mots

A partir d’une expérience autour du mouvement dansé avec de jeunes autistes, j’ai souhaité invité l’écrivaine Marie Desplechin à suivre plusieurs séances de travail et d’observer afin d’écrire ainsi ce qui se joue d’une relation dansée de « ce corps à corps avec la danse elle même » sous la forme des duos. C’est ainsi recueillir les moindres gestes et mouvements disparates des cinq adolescents – Arnaud, Mathieu, Emilien, François et Victor ; ils ont entre 14 ET 17 ans - pour révéler le mystère de leurs mouvements dansés. Il y a un dehors et un dedans, le corps et l’espace. En accompagnant l’adolescent dans l’espace, je peux l’aider à élargir son potentiel de gestes et tenter de rendre cohérent le rapport à l’espace et à l’un et l’autre. En le tenant par la main par exemple, en poussant son pied, le reste du corps, à même la peau, je permets à ce que le tactile et le visible créent une relation, une circulation entre toucher et être touché.

La danse est l’art qui a lieu dans le corps.

C’est laisser les corps faire « par hasard » avec la lumière et le son, le volume et le poids, la géométrie et les couleurs et travailler ainsi les perceptions et les relations entre les enfants et la danse.

C’est prendre conscience de ce qui existe et travailler avec le ici et maintenant des présences, des espaces entre les corps, le dedans et le dehors, les signes et les sens, de ce qui arrive et échappe du mouvement. C’est travailler la notion d’écart, d’irrégularité du corps, du langage.
C’est mettre en relation le geste comme une présence à soi. Une pensée du geste. Quand rien ne vient de la parole, il vient toujours du corps. Un corps hors de lui-même.

En bougeant l’adolescent autiste ne visualise pas tout le temps ce que le corps est en train de faire mais ce que j’ai pu observer c’est qu’à certains moments fugaces, la perception peut-être intensifiée et rendue vivante. Ce corps est le lieu du surgissement et de l’échappement du sens.

Un corps autre se joue et se rejoue à travers le mien. Il le traverse, le mobilise, l’agite ou le calme. Par la présence dansée du duo - l’autiste et l’artiste - c’est commencer un voyage du corps vers un autre chaos.

L’informe chez l’autiste ouvre pour l’artiste un espace d’exploration, de remise en cause des hiérarchies habituelles et d’approche critique du réel comme du symbolique. S’engage alors un parcours vers l’informe, le désordre et la dispersion comme une écriture qui renomme ses signes d’humanité.

On dit que ces corps sont privés de gestes et pourtant des gestes, il en arrive de partout. Ce sont des gestes qui mettent en vie un corps. Un fragment de paupières, un long soupir, des muscles qui vibrent, la cheville qui tremble, les orteils qui se soulèvent. Jamais pourtant auprès des autistes, je n’ai vu autant de gestes, d’aussi beaux gestes.

Si on peut les « amener » à prendre appui sur cet espace soi disant vide pour trouver d’autres gestes, des mouvements, alors il y a « danse » : gestes nerveux, lignes claires dans l’espace ou mouvements brisés, lenteur ou immobilité, arabesques maladroites, torsions enroulées, formes éphémères, torsions des bras ou des jambes. L’envol des bras, le balancement du buste, les doigts qui se détachent de la main ou encore la tête qui roule d’une épaule à l’autre.

Faire danser un autiste – en dansant avec lui, en le dansant – c’est chercher du dehors pour celui qui est en dedans. C’est permettre de saisir, de se saisir, de s ‘emparer du dehors à l’encontre du dedans. Un lieu du monde.

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