Une éthique de la forme - Théâtre et politique...

La représentation théâtrale, comme le remarque Denis Guénoun, prend place sur une scène qui est adossée : il lui faut un mur, un fond, même de toile. On a beaucoup discouru sur la rampe ou le quatrième mur, beaucoup oins sur ce fond de scène qui fait partie du secoure et s’oublie comme tel. C’est pourtant derrière lui que vit la cité et c’est dans ce monde pour un temps déposé (au sens que les plasticiens donnent à ce terme), forclos, que se dispersera l’assemblée lorsque la lumière aura fait la transition.

D’aucuns ont joué de ce mur pur en montrer la fragilité et son peu d’épaisseur matérielle : ils l’ont ouvert en fin de spectacle provoquant comme une coulée des spectateurs vers leur destinée réelle en un geste qui ferme la parenthèse de la représentation théâtrale. Un spectacle récent donné au théâtre de la Cité Internationale à Paris ouvre pour sa part le mur comme pour inviter le monde sur la scène ; c’est une forme brève, modeste, sans découd, in intention spectaculaire qui associe un danseur chorégraphe, Thierry Thieû Niang et un écrivain Marie Desplechin dans l’expérience intense d’un pont jeté vers ce qui, dans le vocabulaire médical, a reçu le nom d’autisme ; de l’autisme reconnaît Marie Desplechin, malgré sa totale implication et son désir si fort de « comprendre », nous sommes absolument et pour toujours séparés.

Ce à quoi le public assiste résulte d’une démarche complexe qui se décompose en plusieurs étapes : en premier lieu dans une institution et en présence de quatre adolescents autistes ; en second lieu l’élaboration solitaire par le danseur et par l’écrivain d’une chorégraphie et d’un texte, mis en commun ensuite dans un troisième moment en présence d’un musicien Benjamin Dupé et sous le regard d’un metteur en scène Patrice Chéreau, lors d’une résidence de plusieurs jours.

Le chorégraphe a expérimenté le pouvoir du danseur de rentrer en contact par le geste, de rendre possibles d’improbables ponts, avant de produire sa chorégraphie en écho, l’écrivain a réagit à l’expérience à laquelle elle a assisté par réécriture d’un texte qu’elle lit pendant le spectacle, un texte où la figure "du fleuve vient marquer la terrible frontière creusée entre un monde et l’autre". Qu’est ce qui fait irruption sur la scène et dans le théâtre par l’ouverture d’une brèche dans le mur, dans la dernière partie de la proposition scénique, lorsqu’apparaît sur la scène un danseur invité Bastien Lefèvre discrètement associé à l’oeuvre scénique ?

Est ce l’autisme venu du monde qui manifeste par sa présence la dimension irréductible de l’altérité ? Est ce à quoi se confronte la danse, ce qui la marque comme une réponse à cette part noire du monde ?

Impuissant et irremplaçable, le geste artistique lucide quant à l’illusion d’une possible empathie est comparé par l’écrivain à une entreprise diplomatique : "des ambassades et c’est tout. Pas de civilisation, pas de progrès en vue. Le mur est épais, celui qui reste infranchissable est donc bien celui du fond qui s’est entrouvert et que l’autisme a peut-être franchi de brefs instants dans sa relation à la danse. Ce qui a été présenté au public et que l’on a peine à nommer spectacle ou représentation associe une extrême simplicité dans le dispositif, l’absence de "jeu" au sens convenu du terme et une extrême complexité puisque ce que l’on entend et voit tire sa substance de longues expériences tissées de temps hétérogènes et met en tension à partir de moments vécus en commun dans le cadre d’une résidence, des solitudes qui se croisent. Une telle présentation scénique aussi forte que fragile transforme alors et revivifie la question de la rampe qui métaphorise et répète ce que la rupture du fond de scène a donné à sentir : l’irréductible étrangeté du Réel, les mots qui manquent pour rendre raison de ce qui nous échappe, l’impossibilité dans laquelle nous sommes, remplis des meilleures intentions, de sortir de nous-mêmes, voire de construire notre propre identité.

« Au bois dormant » rappelle que l"expérience si intense du chorégraphe dans l’insti-tution qui accueille les autistes n’est pas de l’art thérapie, et qu’entre les temps de danse dans l’institution et ce qui a suivi il y a rupture autant que continuité. La continuité tient à la constance de l’ambition artistique, à l’association intime de l’éthique et de l’artistique dans l’intensité d’une création qui croise l’art et la vie. Le chorégraphe pense sa démarche à partir de la danse : « Faire et regarder la danse, ailleurs et autrement.

Le mouvement dansé comme outil de recherche, d’expérimentation et de pensée devient le lieu de partage des imaginaires, des langages et des cultures. »

Conscient de son isolement dans le monde contemporain, l’artiste réagit à la marchandisation de la culture par l’affirmation d’une exigence artistique. « La création et la transmission de celle ci sont des outils pour continuer à raconter le monde. A le partager ».

Thierry Thieû Niang dit encore que la création est un instant vivant susceptible d’instaurer un temps commun de l’être ensemble. Marie Desplechin partage la même conviction lorsqu’elle pense la danse comme une ambassade et fortement impliquée dans cette expérience très déstabilisante et se souvient de deux maximes de Clément Rosset dont celle-ci : « La nature des choses consiste en les choses et en elles seules. Il n’est, il n’a jamais été ni se sera jamais de présence que du présent »...

Maryvonne Saison - Août 2009

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