Une jeune fille de 90 ans
Yann Coridian et Valéria Bruni-Tedeschi
Blanche a 92 ans. Elle vit dans un centre hospitalier pour malades d’Alzheimer. Un chorégraphe vient y animer un atelier de danse. Sous nos yeux ébahis et parfois embués, Blanche se transforme et redevient une jeune adolescente amoureuse…
Le film le plus émouvant du dernier Festival international du film de La Roche-sur-Yon n’est pas le larmoyant et sirupeux Lion de Garth Davis diffusé lors de la cérémonie d’ouverture. Non c’est un documentaire projeté à mi-parcours du festival, au Manège, dans une salle bien loin d’être remplie. Pas grave ! Tous ceux qui étaient présents ce soir-là en sont sortis conquis. Par tant de beauté. D’humanité. De profondeur et d’espoir. Surtout d’espoir.
Yann Coridian et Valéria Bruni-Tedeschi ne nous épargnent pas. La vieillesse est un naufrage, nous le savons. Ils nous le montrent sans détour. D’autant plus qu’ils mettent en scène des personnes âgées et touchées par la maladie d’Alzheimer. Dans un monde qui essaye à tout prix de cacher ses vieux, ce documentaire détonne ! Ces corps fripés ne cessent d’avoir mal. Ces frêles silhouettes avancent tant bien que mal. Jusqu’à l’arrivée de Thierry.
Le danseur Thierry Thieû Niang débarque chaque jour, pendant une semaine, pour animer un atelier autour de la danse. Aux sons des plus jolies musiques d’antan, le chorégraphe aide Blanche et ses comparses à reprendre possession de leurs corps. Mais finalement, c’est leurs âmes qu’il sauve. Des souvenirs resurgissent. Des regrets s’égrènent. Et des espoirs apparaissent. Blanche sourit de nouveau. Son cœur bat la chamade. Le beau chorégraphe lui donne des envies de lendemain. Et ça ! Quand on est enfermé dans son corps depuis tant d’années… Se dire que demain peut être beau est une révélation. Pour elle. Pour nous. Pour Thierry. Et pour Yann et Valéria qui filment ce moment troublant avec pudeur, distance et intense émotion. Le montage du film montre subtilement la lente progression, physique pour les uns, sentimentale pour Blanche. Celui-ci arrive à se redresser dans son fauteuil. Celle-là s’ouvre aux autres et parle enfin. Blanche cherche du regard Thierry. Blanche ouvre son cœur. Blanche lâche un beau et si touchant “Je t’aime…” Climax du film. Jamais les deux réalisateurs ne tombent dans le voyeurisme. Ils sont là, passant parfois dans le champ pour Valéria Bruni-Tedeschi, mais pas omniprésents. Encore moins omniscients. Non, ils ne savent pas tout. Cette histoire d’amour leur tombe dessus comme elle s’empare de Blanche. Ils filment la flamme, puis le chagrin, et bientôt l’oubli. Tout cela à hauteur d’homme. Jamais au-dessus de la mêlée.
À la fin de la projection yonnaise, Thierry Thieû Niang et Yann Coridian sont venus nous raconter cette histoire d’amour, côté coulisses. Improbable histoire. Thierry toujours troublé. Yann encore chaviré. Des questions dans la salle… Que peut-on faire pour redonner vie à nos vieux enfermés ? Yann Coridian en a fait un film qui devrait être prochainement diffusé sur Arte. C’est la plus belle des réponses. Un engagement artistique. Quand l’art s’empare d’un sujet bien trop peu traité dans notre société… L’art ne peut pas pallier à ses manquements mais il peut questionner son époque. Cessons de regarder nos vieux avec effroi ! Point de simples bons sentiments dans cette injonction, juste la prise de conscience que demain, ce sera notre tour.
Delphine Blanchard - Benzine - 27 octobre 2016
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