Les Sonnets de Shakespeare : le texte comme fluidité

Les Sonnets de Shakespeare

Photo : Bruno Levy

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Quel est le lien entre une piscine, l’adolescence, les corps, l’amour et les Sonnets de Shakespeare ? Un mot : la fluidité. Du 1er au 3 novembre, le Théâtre de Carouge rendait hommage au poète anglais, dans une mise en scène de Jean Bellorini et Thierry Thieû Niang.

Au milieu de La Cuisine, il y a une piscine. Cette phrase, qui pourrait sortir d’une revue surréaliste, est devenue vraie à Carouge à l’occasion de la représentation des Sonnets de William Shakespeare. Autour de cette piscine, ils sont vingt-et-un à évoluer – vingt-et-un corps, vingt-et-un êtres à fleur de peau qui s’emparent de la scène et des mots avec un aplomb surprenant. Et pour cause : tout juste sortis de l’enfance, ces vingt-et-un comédiens sont encore des adolescents.

- La fluidité de l’eau

Dès les premières minutes, on est happés. Des mouvements chorégraphiés, sans paroles, sur une musique rythmée. Des gens qui se croisent, se frôlent, se battent ou se rencontrent. Ils se réunissent, se séparent, se retrouvent, évoluent par petits groupes ou en foule. Le tout, autour d’une piscine. Ils étendent leur linge, s’assoient, se relèvent… jusqu’à ce que le texte éclate. Des mots d’amour. Des mots de douleur. Des mots qui disent tantôt la séparation avec l’être aimé, tantôt le départ éternel des morts. Qui disent l’amertume d’être soi sans l’autre, de voir l’autre sans soi. Ce n’est pas un dialogue, ce n’est pas du théâtre – c’est de la poésie. C’est la voix de la jeunesse qui parle, qui s’empare de vers complexes et brillants, endossant des paroles dont la profondeur, loin de simplement témoigner de la maturité d’un poète mort il y a plusieurs siècles, dit l’universalité de l’humain – et sa fluidité.

Cette fluidité, c’est d’abord celle des déplacements – jamais heurtés, jamais violents, les déplacements répondent harmonieusement à la musique. C’est celle des mots, ensuite, pris en charge par des voix graves, aiguës, tremblantes, chuchotantes, essoufflées. Et il en faut, de la voix, pour porter jusqu’en haut de la salle (dans ces gradins lointains qu’on appelle « le Paradis ») les mots du poète. La fluidité, c’est aussi celle de cette jeunesse, de cette adolescence qu’on n’arrive pas à saisir, qui glisse entre les doigts comme l’eau d’un âge changeant, instable, où tout peut être possible. À la manière du héros de Mort à Venise, on se surprend à être fasciné par cette jeunesse tantôt insouciante, tantôt grave, révolté, en colère, douce, amoureuse, triste, euphorique. En maillots de bain, les corps ont la souplesse du temps qui n’est pas encore passé : ils vont et viennent sur la scène, plongent, ressortent, dégoulinent, se sèchent – dans un va-et-vient fluide qui construit, au bord de la piscine, un hors-temps aquatique et amoureux. Sans histoire suivie, les poèmes se déploient dans une lumière tantôt bleue, tantôt blanche, chaude ou froide comme les âmes.

Lieu central des sonnets, cette piscine devient nouveau lieu de sociabilité. Si elle évoque une modernité familière à laquelle répondent les écrans de smartphone géants qui tapissent le mur du fond de la scène, elle est également lieu de métamorphose : on s’y plonge pour trouver les mots, pour saisir l’expression juste et la transmettre à l’autre. On s’y berce ou on s’y évanouit quand les vers ne peuvent plus dire. On s’y baptise. On s’y noie. L’eau, élément nécessaire à la vie, devient métaphore de l’amour, métaphore du texte dans lequel on nage harmonieusement – sans jamais se perdre.

Adolescence et maturité ; amour et haine ; exaltation et regrets : un moment entre-deux teintes, voilà ce que nous offrent les protagonistes des Sonnets. Alors pour ça, merci.

Magali Bossi - La Pépinière - 4 novembre 2019

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